La fiction comme évasion

Partout, je vois des livres et des films hautement recommandés (et avec raison) parce qu’ils sont importants.

Par ce terme, on signifie généralement que l’oeuvre met en scène et interroge les grandes problématiques socio-politiques de notre époque. L’exemple actuel le plus frappant est The Handmaid’s Tale, une dystopie « choc » de Margaret Atwood récemment adaptée en série télévisée, qui dénonce la condition de la femme et ses dérives potentielles. De la même manière, il faudrait absolument lire tel essai qui défend les droits des animaux, voir tel film poignant qui souligne la violence raciste aux Etats-Unis, ou encore suivre telle série au sujet du harcèlement scolaire. C’est valable aussi pour des oeuvres historiques: on aime chez Zola, l’un des écrivains préférés des Français, son portrait réaliste de la société et de l’industrialisation de l’époque.

Seulement voilà: aussi incorrect que cela puisse paraître, je ne me reconnais pas dans ce type de critères pour le choix de mes lectures ou de mes visionnages. Si je reconnais leur intérêt ô combien fondamental, les oeuvres aux messages socio-politiques forts ne correspondent en fait pas du tout à ce que j’ai envie de découvrir dans mon temps libre…

J’ai voulu vous exposer mon point de vue à ce sujet aujourd’hui, surtout pour nuancer toutes les injonctions à une consommation culturelle « utile » et engagée, d’abord, parce qu’elle ne convient pas forcément à tout le monde tout le temps, mais aussi en partie, sans doute, pour justifier un peu mes goûts, qui pourraient paraître égoïstes (alors que c’est plus subtil que ça !).lecture-culture-evasion

Pour moi, la fiction est justement un moyen d’échapper au monde réel – une pause bienvenue et, je crois, saine, pour la personne sensible et anxieuse que je suis.

Surtout depuis que je suis devenue adulte, je ressens en effet un besoin absolu de rêver, de m’évader régulièrement des préoccupations de notre société (problèmes sociaux et politiques, tensions, violence, maladies…), car celles-ci ont tendance à beaucoup me toucher.

Mes choix culturels sont donc toujours axés autour de ces besoins émotionnels, plutôt que dans une démarche plus réflexive ou éducative:

  • Je privilégie les fictions plutôt que les essais, témoignages ou réflexions, mais j’évite aussi assez directement les oeuvres aux thématiques sociales trop lourdes, ou aux contextes géo-politiques trop pesants (guerres, ségrégation, etc…). J’aime les ambiances un peu brumeuses, certes, mais surtout par esthétique; les sujets en soi restent assez individuels et personnels.
  • Je suis naturellement attirée par les histoires qui m’offrent une réalité sublimée, différente, à idéaliser: contextes historiques, « nature », pays étrangers ou même mondes fantastiques. J’adore aussi les contemporains un peu légers comme ceux de Samantha Bailly, peut-être parce qu’ils rendent la réalité plus douce à leur manière, justement.
  • Plus le roman est mystérieux et intrigant, ou addictif (par exemple à cause d’une tension amoureuse), plus mon cerveau s’y concentre comme si le reste du monde n’existait pas: j’ai donc une passion toute particulière pour les romans à suspense, qui m’offrent une évasion très efficace.

Les oeuvres qui répondent à ces critères et qui savent attirer toute mon attention sont précieuses pour moi: elles calment les mille pensées de mon esprit, me rendent la vie plus douce, m’apaisent, et constituent un échappatoire facile toujours à portée de main, où je peux me concentrer sur des problèmes différents. Après tout, c’est là toute la magie et la spécificité de la fiction: faire fonctionner notre imaginaire, nous transporter dans d’autres mondes.

Bien sûr, il est essentiel et bénéfique que chaque citoyen soit sensibilisé politiquement, connaisse les enjeux sociaux et économiques de son époque, et s’engage pour les causes qui lui tiennent à coeur. Est-il toutefois indispensable de s’y confronter même lors de ses pauses lecture ou ciné ?

Les livres ou films qui ne traitent pas de sujets brûlants, dramatiques ou engagés sont perçus comme moins sérieux, moins dignes parce qu’ils ne permettent supposément pas de se cultiver, de mieux comprendre le monde et ses enjeux. Mais il est injuste, je trouve, de toujours fustiger ce qui n’est pas assez productif, ou proactif. Les distractions, le repos, et le rêve sont importants aussi pour notre équilibre (en tous cas pour le mien !). On a le droit absolu de se protéger de sujets sensibles lorsque l’on en ressent le besoin, de ne pas vouloir enfiler sa casquette de citoyen engagé 24 heures sur 24.

Éviter les thématiques sociales et engagées ne signifie pas, d’ailleurs, qu’on ne voit que des films mièvres, qu’on n’apprend jamais rien et qu’on n’est pas curieux/se du monde. L’envie d’évasion n’est en aucune façon preuve d’un manque d’intelligence, d’intérêt ou de conscience. Il n’est pas nécessaire de lire La Servante écarlate pour être fondamentalement féministe, ni de voir Mississipi Burning pour s’indigner contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis: malheureusement, les exemples de la vraie vie sont parfois largement suffisants pour nous choquer…

De mon côté, depuis que j’ai réalisé ce besoin de couper régulièrement avec la réalité et ses problèmes, je l’assume à 100%. J’aime l’idée d’être bienveillante avec moi-même, de m’offrir le rêve et le réconfort émotionnel dont j’ai besoin à travers les fictions qui m’attirent – même si elles ne changeront pas la face du monde. J’y trouve de la beauté, du rêve, du mystère, de la magie et des émotions qui subliment mon quotidien et m’apportent de l’air frais, justement, lorsque les drames de la vie réelle m’étouffent.

Ne dit-on pas que les livres soignent ? C’est ce qui les rend indispensables pour combattre les maux du monde; mais s’ils peuvent apaiser les maux de l’âme, c’est déjà beaucoup !

***

Et vous, lisez-vous plutôt pour vous évader, ou pour comprendre le monde ?
Aimez-vous les films et séries qui traitent de sujets de société ?

77 commentaires

  1. Bonjour, Je découvre ton blog avec cet article (via le blog d’Ophélie :-)), et je suis d’accord avec toi, au moins partiellement. J’apprécie beaucoup de pouvoir m’évader dans mes lectures, je trouve cela essentiel afin de pouvoir souffler et se préserver un peu… Après, lorsqu’un sujet de société ou une période historique me semble obscurs, et que j’entends parler d’un bon livre sur le sujet, j’essaie en général de le lire pour mieux comprendre… mais là encore, j’accroche bien plus si c’est romancé que purement descriptif. Merci pour ce chouette article !

  2. Cécile-Catherine Répondre

    Bonjour, pour ma part j’alterne entre les livres détente (type feel good comme Bridget Jones), les grands classiques (en ce moment, c’est Les Trois mousquetaires de Dumas) et les livres qui me permettent de m’évader (la série de bouquin Outlander).
    Il est vrai que les sujets de société sont omniprésents dans les fictions, et, étant prof d’Histoire-géo pour des collégiens, je ne peux pas y échapper. Cependant, j’aime à essayer de trouver justement un lien entre des lectures qui paraissent légères au premier abord, mais qui peuvent cacher des situations ou des débats retentissants aujourd’hui (oui, on peut partir d’Harry Potter pour trouver les bases des dictatures modernes !). Par contre, le piège dans cette démarche est de ne se focaliser que sur ce qu’on peut exploiter lorsqu’on regarde ou qu’on lit quelque chose. Je suis tombé dans la dérive il y a quelques temps, et j’essaye de regarder de plus en plus de programmes ou de films « inutiles », mais ce n’est pas évident.

  3. Bonjour Victoria,
    Merci pour cet article et cette intéressante réflexion.
    Personnellement j’ai 32 ans et un enfant et je me suis remise sérieusement à relire depuis… janvier 2017. Mon objectif 2 livres par mois, mais je l’ai presque dépassé et j’en suis très fière. Pourquoi ce besoin de quantifier/mesurer ? Car j’avais totalement laissé tomber la lecture pendant plusieurs années et j’avais besoin d’un objectif pour me relancer. Je t’avoue que je ne me souviens même plus pourquoi j’avais arrêté la lecture (bébé, travail, boulot ? qui sait ?) et depuis le début de l’année je me demande comment j’ai fait pour m’en passer ? Je lis pour ma part beaucoup d’essais car je me suis remise à la lecture avec la découverte du yoga et dans la même veine du développement personnel (oui je suis une victime de la société de consommation). Tu ne lis jamais d’essai sur le développement personnel ? Personnellement je trouve que leur qualité est très inégale et donc mon principal critère de sélection est… les notes Amazon ! Oui je sais ça a l’air minable mais il faut bien commencer quelque part non ? J’ai lu aussi la plupart des livres de ménagères à grande succès du moment (La magie du rangement, Zéro déchet…) et j’ai adoré. Mais je t’avoue que je me suis vite lassée de ce genre de lecture car au bout d’un moment on tourne en rond. Sans être méchante on tombe très vite dans la reformulation d’un même sujet. Bref tout ça pour dire que j’en suis venue très rapidement à lire comme toi des livres pour clairement m’évader. Et je me suis tournée vers les comics Marvel et DC comics et les romans pour jeunes adultes (Chroniques Lunaires, La passe-miroir…). Au début je complexais à 32 ans de lire des livres pour ado retardés… mais tu sais quoi, je ne me suis quand même pas enchaînés des livres sur le développement personnel pour être complexée ! Je ne suis pas particulièrement fière de ma manière de choisir mes œuvres (notes et commentaires Amazon) et c’est entre autres pour cela que je suis absolument fan de tes articles de critiques littéraires. J’ai lu la Servante Ecarlate, que j’ai adoré par ailleurs, mais je l’ai adoré pour le style, l’histoire et les personnages ! Par pour le débat ! Ce livre n’a pas provoqué en moi « le choc » qui est annoncé dans les médias ! Quel choc ? Bref, je n’arrive pas à me sortir de la tête cet adage que j’ai vu je ne sais plus où « Si tu lis ce que tout le monde lit, tu penseras comme tout le monde » (la formation exacte devait sans doute être poétique, je ne m’en souviens plus exactement).
    Merci Victoria !

  4. Très honnêtement, je suis un peu comme toi. Je n’ai jamais vraiment accroché en ce qui concerne la littérature de société ou les romans dits « de littérature » qui prennent racine dans le réel et le concret. J’aime lire pour la même raison que toi: cela me fait voyager et me permet de rêver et de m’évader. Pour ma part je suis très fan de fantasy (la sage de l’assassin royal est de loin ma préférée) ou de romans de fictions historiques. Ce sont mes genres favoris! En ce moment, je suis dans le premier tome d’Outlander ;-) . J’aime beaucoup, même si je dois avouer que la série me plait un peu mieux. C’est peut-être dû à la traduction en français, je ne sais pas (j’avais commencé en anglais mais la lecture s’est révélée être un peu fastidieuse car beaucoup de vocabulaire inconnu).
    Je t’embrasse Victoria!

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  8. Merci pour cet article.
    Tout comme toi, je lis avant tout pour m’évader dans des univers de fiction.
    Je ne comprends pas la nécessité de s’infliger un surcroît d’histoires réalistes violentes et attristantes.
    Cependant, passé les romans de fiction jeunesse, il m’a été très difficile de trouver l’équivalent dans les œuvres de fiction de manière plus générale. Aussi, je ne dispose plus autant de cette évasion.
    Saurais-tu m’indiquer quelques références en la matière ?
    Merci d’avance,
    Lilly

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  10. Chacun ses goûts mais je suis tout le contraire de toi, je lis de la fiction mais aussi des essais, des livres de témoignage, news etc et même en fiction j’ai clairement besoin d’un ancrage à notre société, notre réalité, à notre vie quotidienne et dans ce cas, les livres SFFF ne me correspondent pas vraiment et j’en lis pas vraiment, d’ailleurs mes genres préférés en fiction rejoignent beaucoup la réalité: le contemporain comédie et sujet sérieux qui dénoncent justement des choses et les thrillers et polars ^^
    Peut-être es-tu hypersensible ou plus sensible à ces choses-là, moi personnellement je ne suis pas hypersensible et je pense qu’on peut « s’évader » tout en étant ancré dans notre réalité et notre quotidien et c’est ce besoin que je ressens! Si c’est trop loin de notre monde, réalité et société, je ne vais pas adhérer! Après c’est aussi une question de goût mais en tout cas je ressens un besoin énorme que la fiction soit ancrée dans notre réalité, notre société, notre quotidien et qu’elle dénonce aussi des choses! Moi j’adore les livres vraiment engagés, je lis aussi des essais féministes étant féministe, d’autres sur le racisme, d’autres sur la criminologie, d’autres sur la neurologie! Mais je pense que la fiction permet d’introduire des messages même engagés et justement d’instruire sur des sujets qui sont énormément importants tels que le harcèlement, la violence conjugal, les pervers narcissique, le racisme, le sexisme, l’homophobie etc et la fiction avant les essais permet d’introduire ces sujets pour que les gens aussi s’y intéressent et se documentent ^^ car la fiction c’est comme une introduction mais elle ne suffit pas pour certains sujets!
    Mais si tu as du mal pour des sujets durs, je te conseille de t’intéresser à la représentation des personnages dans la fiction, choisir des livres dont il y a des personnages filles comme masculins, des personnages racisées de différentes origines, des personnages gay, lesbiennes, trans, des personnages gros etc car que tu le veuilles ou non, l’art est politique, écrire est politique et même pour des livres dont le but est de « divertir » peuvent comporter des messages explicites ou implicites! Comme autre acte politique que tu peux choisir de faire en tant que militante par ex c’est de relever les livres qui sont problématiques et éviter les livres dont le message est problématique, sexiste, racistes etc Tout ça je le fais déjà même si pour la représentation j’ai pas lu toutes les représentations et encore pour la représentation de certaines personnes c’est dur à trouver!

  11. J’ai commencé a suivre votre blogue pour m’aider à étudier le francais. Je fais mes études et votre articles m’intéresse beaucoup. Je lis en anglais les romans , je sentais le meme chose quand je choisis le fiction. Mais apres avoir lu votre article , je ne me culpabilise pas pour vouloir m’evader de la réalité même si pour des heures ou des minutes. Vous avez raison , on ne dois pas s’entourer toujours des problèmes pour etre sympa. Merci pour cet article. Vous l’avez bien ecrit.

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